Par Benjamin Husson
Les cinéastes Michel Gondry et Gabriel Aghion ont habillé de leurs images certaines de ses chansons; Amélie Nothomb, qui n’avait jamais écrit pour un chanteur, lui a offert des textes et lui a même consacré une biographie romancée, RoBERT des noms propres.En 2009, suite à un appel en provenance des États-Unis, Givenchy, séduit par l’univers de RoBERT, empreint de modernité et de baroque, de féminin et de masculin, d’élégance et de mystère, l’a choisie pour être l’égérie musicale, dans le monde entier, du prochain film publicitaire de l’un de ses parfums. RoBERT ne cesse de s’étonner de ces rencontres qu’elle n’a jamais cherché à provoquer.
Dignes d’un conte qui font de RoBERT une fée, elles sont le fruit du hasard et de rencontres inopinées, comme autant d’étapes surprise dans le parcours singulier, indépendant et authentique de cette artiste incomparable. Car jamais RoBERT ne s’est mis en tête de rallier une quelconque autoroute du succès. Comment ne pas considérer comme trivial un désir d’efficacité commerciale lorsque, comme elle, l’on transcende par l’art sa vie intérieure et que l’on périrait de ne pouvoir le faire ? Sa préférence va indéniablement aux chemins de traverse, ceux qui en vérité s’imposent sous ses pas avant même qu’elle les reconnaisse. Avant de s’appeler RoBERT, la jeune femme a été danseuse classique. Une décalcification osseuse l’ayant empêchée de continuer à pratiquer sa passion, elle est devenue comédienne. Elle a notamment incarné Géraldine Chaplin adolescente sous la direction de Michel Deville.
Dans les années 80, RoBERT a retrouvé le garçon qui la fascinait lorsqu’elle était collégienne.
Princesse d’un conte destiné à contrer la morosité de la réalité, elle ne pouvait qu’épouser Mathieu Saladin, qui est depuis son complice musical. C’est lui qui a eu l’idée de l’incongru nom d’artiste de RoBERT, à l’opposé du physique gracieux de fragile elfe rieur de sa compagne.De leur union musicale sont nés cinq albums studios, bon nombre de spectacles théâtraux dont certains ont fait l’objet d’une captation vidéo, ainsi que le RoBERT des non-dits, un livre de somptueuses photos qui n’auraient pas fait pâle figure dans l’univers du New-York arty et créatif. L’univers musical de RoBERT est nourri de son goût pour la présence originale des Rita Mitsouko, l’électro-pop de Kraftwerk, les chansons de Barbara et de Marie Laforêt, les oeuvres de Ionesco et d’Arrabal, mais aussi, si étonnant que cela paraisse, la radicalité textuelle de rappeurs américains comme Dr. Dre ou Eminem.
Ses concerts, aux chorégraphies et à la mise en scène soignées, reflètent l’admiration que la chanteuse porte à la chorégraphe Pina Bausch. Le répertoire de RoBERT est composé de ballades ésotériques, presque lyriques, souvent interprétées en mode soprano, et de chansons pop-baroques, aux mélodies irrésistibles et aux paroles pleines d’ironie et d’humour noir, cette fois chantées dans un registre vocal plus grave. L’artiste funambule s’aventure dans des acrobaties vocales qui lui sont uniques. Les textes qu’elle écrit lui sont très personnels : ils reflètent, avec ce qu’il faut de pudeur et de poésie, ses peurs, ses obsessions, mais aussi ses amusements et parfois même son redoutable humour.
Musicalement, RoBERT aime marier la modernité de sons électroniques et le classicisme d’instruments acoustiques comme le violon, la harpe ou le clavecin. Si la chanteuse s’exprime avec une certaine poésie éthérée, RoBERT ne cultive aucun mystère « marketé ». Comme naguère pour Barbara, quiconque l’imaginerait vivant comme une ermite en deuil perpétuel serait fort surpris de sa dimension terrienne, de ses enthousiasmes et de ses rires francs. RoBERT est à l’exact, et particulièrement improbable, croisement entre la féérie de Tolkien et l’ironie ravageuse d’Albert Dupontel.
Par ailleurs, elle vit son métier, son être devrait-on plutôt dire, de façon bohême et artisanale, dans le sens le plus noble. Il faut l’avoir vu chiner les roses sur pied qui lui serviront de décor scénique ou encore s’enthousiasmer de sa tenue de scène, réalisée par un certain Mister Crochet rencontré via Internet.
Les admirateurs de RoBERT ne se trompent pas sur l’authenticité de la chanteuse. Certains d’entre eux sont devenus, le temps d’une tournée, des émissaires investis de la mission de faire découvrir leur muse à un nouveau public. Ainsi, à chaque nouveau concert, le secret du rendez-vous se répand de bouche-à-oreille, le charme opère, et de nouveaux aficionados prennent plaisir à découvrir, comme un trésor caché dont on ne révèlerait l’emplacement qu’aux plus méritants, l’œuvre de l’inconnue la plus célèbre de la chanson.